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Samedi 29 janvier 1983 à 7h.00.

Michel nous attend avec son frère devant « La Fraternité » de Ouagadougou en Haute- Volta où nous avons passé une nuit réparatrice. Ils nous acheminent avec leur Peugeot 504 à la gare routière d’où partent les taxis- brousse : camionnettes bâchées, voitures familiales ou commerciales, mini- bus... Coût du voyage pour se rendre à Lomé, capitale du Togo, seule étape avant Cotonou: 12500 F CFA. Avec le syndicat des chauffeurs le tarif a l’avantage d’être clair, donc pas de palabre pour arrêter un prix.

Quelques clients sont déjà sur place, mais il faut attendre que la voiture familiale (une ...504 n’est- ce pas! ) soit remplie pour le départ, ce qui veut dire en l’occurrence neuf personnes plus le chauffeur.

En guise de petit déjeuner nous mangeons les sandwiches qui nous restent de France. Le temps passant, nous voyons la gare s’animer progressivement par un va et vient incessant de camions et de véhicules de toutes sortes chargés à mort; petit à petit le terre- plein et la halle qui nous abrite du vent se transforment en mini marché, enfants, adolescents et adultes installant leur bataclan : des bonnets très colorés, des chemises, des babioles et bijoux, des montres, des pâtisseries, de l’épicerie. Un marchand de boisson positionne sa charrette (125 f. le grand Soda). A 10h le départ est annoncé, mais il faut encore attendre le client qui est allé chercher sa valise chez un parent et puis …le chauffeur.

Enfin, à 10h 30 la voiture est chargée de ses bagages et de ses clients: bagages sur le toit et dans le coffre arrière, trois personnes sur la banquette du fond, quatre sur la banquette intermédiaire et deux sur le siège avant du passager: soit quatre français, une allemande (Béatrice),un guinéen, un béninois (Ibrahim), un voltaïque que nous laisserons à la frontière togolaise et un congolais, le « Papa », que nous laisserons sans regret à Lomé avec sa suffisance et son poids.

Un jeune homme conduit le taxi jusqu’à la pompe pour un plein d'essence non sans avoir heurté au passage une bordure de trottoir. Puis notre chauffeur, le vrai, prend le volant pour nous mener à Lomé. 1100 Km environ à parcourir. Démarrage en première, compteur poussé à 60 km/ heure, nuage de poussière derrière nous, coups de klaxon intempestifs pour faire écarter les charrettes, les vélos et mobylettes, les piétons chargés de fagots de bois sur la tête. Nous voilà partis sur une route trouée et encombrée. Le moteur ronfle, lancé à son maximum avant chaque passage de vitesse; au bout de 500 mètres nous quittons le goudron pour prendre sur la droite une suite de ruelles de sable coincées entre des murs et des cases agglutinées ; nous passons à travers des placettes emplies de gosses et au sol jonché d’ordures. Les passages sont de plus en plus étroits, bosselés; un véritable parcours de moto-cross où plus d’un chauffeur européen n’oserait s’aventurer. Les amortisseurs claquent mais la vitesse n’est pas réduite pour autant.

D’un coup nous faisons demi- tour puis marche arrière jusqu’à l’entrée d’une concession (ensemble de maisons familiales). Arrêt brutal. Le chauffeur plante là son véhicule non sans avoir coupé le contact (geste automatique qui sera répété à chaque arrêt), puis entre dans une case pour en ressortir presque immédiatement avec un petit sac de voyage à la main, des chaussures, une torche et accompagné d’une petite fille. Notre Chauffeur (il n’aura pas d’autre nom !) porte une canadienne. Son bonnet est enfoncé jusqu’ aux deux petits yeux  fendus; trois cicatrices partent en éventail de chacun d’eux en direction des tempes. Pas très bavard notre Chauffeur!

Nous repartons aussi vite que nous sommes arrivés, dans un dédale de sentiers, de fossés savamment franchis, de trous et de bosses, laissant derrière nous un sillage de piétons enrobés de poussière. Nous passons à proximité du palais du Moro Naba. Encore un arrêt dans un autre quartier de Ouagadougou, puis encore un autre arrêt. Ibrahim- le-béninois nous signale gentiment que le Chauffeur doit avoir plusieurs femmes! Je me surprends à penser : « combien? »... Ce petit apéritif nous aura permis d’apprécier les qualités de conduite de l’africain et surtout le bon état des freins de notre véhicule.

Nous prenons enfin la route, la vraie. A la sortie de la ville de Ouagadougou nous sommes arrêtés pour un contrôle de police, le premier. Il faut vraiment être du coin pour savoir où et quand se trouvent les postes de contrôle: dans une cabane en bois, sous un arbre, sur un talus,... Les gendarmes, les douaniers sont habillés avec des restes d’ uniformes disparates : capote, manteau, veste, béret, casquette, chaussettes noires ou rouges, etc. ... A chaque contrôle le chauffeur descend après avoir coupé le contact et va faire viser le carnet de bord du véhicule; de temps en temps aussi ce sont les passagers qui sont obligés de présenter ou de faire viser leur passeport, d’ouvrir leurs bagages: sacs et valises sont alors déposés au sol, sur la route ou sur le talus, devant leur propriétaire ; au hasard quelques uns sont ouverts; on les soupçonne de contenir des armes ou autre chose, mais quoi?!...Puis il faut à nouveau hisser le chargement sur le toit du taxi, l'arrimer, entasser le reste de bagages dans le coffre.  Cette comédie des arrêts- surprises aura lieu sans doute une quarantaine de fois tout au long du périple jusqu’à Lomé, que ce soit de jour ou de nuit. En Haute- Volta un gendarme vient s’asseoir au volant pour essayer ...le klaxon (« Il faut un klaxon en bon état » explique-t-il dignement aux passagers!). Le Chauffeur doit aussi parfois présenter sa trousse à pansements et l’ouvrir à plat sur la route, de même pour le cric et la manivelle; il doit aussi montrer qu’ il est bien équipé de sa roue de secours. Devant les gendarmes c’est un passager qui ouvre discrètement la portière de l’intérieur pour ne pas mettre le Chauffeur dans l’embarras car, cassée, elle ne s’ouvre pas de l’extérieur si celui- ci veut remonter dans son véhicule. Au Togo ce sera une petite femme gendarme casquée et zélée qui, en pleine nuit,  fera remarquer au conducteur que sa lunette arrière est légèrement obstruée par les bagages; mais ce dernier avoue ne pas être gêné, alors la femme- flic vérifiera sa déclaration en alignant son oeil, la lunette arrière et le rétroviseur après que les passagers ...se soient discrètement écartés sur les bords des sièges! Dans la nuit ou bien les contrôles sont bruyants, intempestifs, ou bien ils s’effectuent de façon feutrée (sans doute lorsqu’il y a un billet de 500 ou 1000 F dans le carnet de bord). Mais la corruption sévit aussi en plein jour puisqu’ à quelques centaines de kilomètres de Ouagadougou la voiture va quitter subitement le bitume pour entreprendre une piste où un étranger se perdrait tant il y a d’embranchements dans la savane. La 504 est mise à rude épreuve : trous, talus, bosses, passage de gués; notre Chauffeur n’hésite pas un instant tellement il a l’habitude d’ échapper ainsi au racket des douaniers, de la police, de la gendarmerie, des comités révolutionnaires. S’il ne le fait pas, il peut se retrouver à Lomé avec un bénéfice zéro sur le voyage !…

Nous profitons des arrêts de contrôle pour boire une bière ou grignoter un peu de pain, quelques arachides ou de la noix de kola. A Koupéla, à l'est de la Haute- Volta, nous nous arrêtons sur un marché pour consommer de la viande grillée. Et à la frontière togolaise nous aurons la surprise d’être accueillis, après la fouille de douane, par un homme portant ostensiblement une croix au cou et offrant une boisson à chaque passager. Qui est-il vraiment ? Plus tard, en  pleine nuit, nous nous arrêterons dans une ville togolaise pour nous attabler en plein air et manger plus copieusement un bon plat de riz... pimenté, comme le font les africains.

Et la conduite, chauffeur?

Extrêmement simple: une succession de pointes à 120- 130 Km/h, des poses à 90; coups de klaxon intempestifs au moindre piéton, au moindre cycliste, au moindre animal, pour doubler ou à l’approche d’un village ou d’un troupeau. Cela n ‘empêchera pas un chien d’être sacrifié sur l’autel de la vitesse ; Ibrahim se retournera pour constater par la lunette arrière la boucherie et la mort de l'animal qu’il ponctuera d’un «  C’est mieux comme ça. ». Pour lutter contre la fatigue notre sportif ouvre grande sa fenêtre et  passe sa tête et son tronc à l'extérieur en regardant alternativement devant et derrière. A deux ou trois reprises et pour se tenir éveillé il se mettra en pleine nuit à fredonner d’une voix très aiguë et plaintive en même temps un chant en langue. En pleine nuit je l’ai même vu faire des appels de phares incessants à l’un de ses confrères qui zigzaguait devant nous sur la route et était visiblement en train de s’endormir. Belle solidarité ! Malheur si un passager se met à lui parler: il n’hésite pas à détourner son regard de la route pour lui répondre, oubliant que quelqu’un peut se retrouver au bout de son capot! A 120 Km/h l’effet est des plus saisissants ! En haute- Volta son rôle se bornera à éviter les obstacles et les trous, à doubler en mordant largement le bas- côté sans jamais ralentir. Mais dans le sud du Togo l’exercice va vite s’avérer impossible en raisons du nombre et de la surface des trous qui minent la chaussée; nous trouverons ainsi des kilomètres de route en réfection transformés en véritable tôle ondulée. Quel ramdam alors dans la voiture ! Les phares se dérèglent et nécessitent de fréquents arrêts pour être relevés car ils ne portent plus assez loin, le rétroviseur surchargé d’un autre beaucoup plus large regarde le plancher. Avant Lomé un tac- tac retentit dans le moteur, puis c’est un sifflement; un bruit métallique de tringlerie ou d’amortisseur qui raisonne sous la caisse. A l’arrivée les jantes sont toutes bosselées d’avoir embrassé les trous. Malgré l’usure avancée des pneus nous n’aurons pas eu droit à une seule crevaison !. Une panne tout de même à un contrôle en Haute- Volta : un mauvais contact nous empêche de repartir, ce sont les douaniers qui pousseront la voiture; ensuite le faux contact sera réparé par les secousses.

C’est incroyable ce qu’on peut arriver à découvrir les personnes en 24 heures de voyage en voiture; le groupe rit et commente, des affinités se créent; j’ai l’ impression confuse d’une bande de stagiaires qui auraient vécu déjà 5 ou 6 jours d’une histoire commune alors que nous ne sommes que depuis quelques heures à nous côtoyer.

Après Ouagadougou le paysage est invariable: la savane, herbe sèche couchée par le vent, des baobabs gris sans feuille et apparemment sans vie; des arbres à pains, des buissons en touffes isolées . Les villages se confondent avec les arbres et l’herbe sèche; les cases, regroupées en concessions, sont rondes et recouvertes de leur chapeau pointu en paille; chaque concession possède un ou plusieurs greniers à mil tout en paille fraîche agréablement jaune. Des troupeaux de moutons ou de vaches à la bosse sur le cou sont parsemés le long de la route.

Le Togo apparaît déjà plus vert en même temps que le sol commence à prendre du relief: plus de végétation et quelques cultures au Nord. Hélas! Nous traversons le pays à la tombée du jour puis dans une nuit noire qui deviendra merveilleuse dès l’apparition de la lune. Avant qu’ il ne fasse trop sombre nous apercevons un jeune éléphant solitaire sur le bord de la route; vient-il de la réserve toute proche du Po ? Nos compagnons africains paraissent étonnés de voir l’animal ici. Petit à petit la lune éclaircit le paysage: des montagnes, des ravins et les premiers palmiers en contre- jour. De temps à autre nous apercevons des cases éclairées par un feu de bois, une bougie ou une lampe à pétrole. A 23 heures il y a énormément d’ animation dans les rues des villes où échoppes et étals sont illuminés par les mêmes moyens rudimentaires que ceux des cases. Ce remue- ménage rappelle que nous sommes en week- end.

Plus loin, en pleine nature, le ciel est soudain illuminé d’une lueur orangée: feu de brousse, feu de case ?

Toujours harcelés par les contrôles, nous roulons en piquant à la verticale sur la capitale togolaise. A  2 heures 45 du matin nous arrivons à la gare routière de Lomé ; le chauffeur avait bien estimé le temps de voyage. Nous stoppons sur un terrain fait de trous et de bosses ; des gens dorment à même le sol autour des taxis ou sur un trottoir avec pour tout confort une couverture; dans les phares du taxi- brousse on aperçoit un homme accroupi pour satisfaire ses besoins.

Nous sommes harassés; nous nous concertons quelques instants pour savoir ce que font les autres; compte tenu de l‘heure nous sommes quatre à penser qu’il vaut mieux continuer le voyage vers le Bénin plutôt que de chercher un gîte pour dormir dans la ville. Nous interceptons un taxi qui démarre et lui demandons de nous emmener au départ des taxis pour le Bénin. Une fois arrivés dans le nouveau quartier  nous apprenons que la frontière entre les deux pays est fermée, qu’aucun taxi ne s’y rend. Un militaire qui  « traîne »  par là nous conseille de nous rendre en voiture à la frontière; celle- ci est fermée jusqu’à 6 heures mais, de toute façon, elle reste bloquée par les réfugiés(*); il faudra donc la  passer à pied et ensuite  prendre un taxi béninois une fois arrivés de l’autre côté.

(*) Il s’agit de l’exode de centaines de milliers d’ expulsés du Nigeria en ce début d’année 1983. La suite du voyage est décrite dans les pages sur cet exode.

 Copyright © décembre 2001 Bernard MICHEL

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